Fragment autobiographique 2

Quand j’avais une vingtaine d’années, au terme d’une très longue matinée d’insultes adressées par ma mère à mon père et à moi, très longue matinée qui faisait suite à une très longue adolescence, une très longue enfance, trempant dans la même ambiance de violence verbale et pas uniquement verbale, j’ai mis ma mère au défi d’accomplir sa menace de m’étrangler. Elle l’a fait. J’ai alors perdu conscience – pas dans le sens où je me suis évanoui, mais dans le sens où j’ai agi en-dehors de moi-même : le récit s’est interrompu ; quand il a repris, je me trouvais au sol, plaqué par mon père, terrifié et hurlant que j’étais calme, que j’étais calme ; ma mère, titubant, s’accrochait à la table d’une main et portait l’autre à son visage, qui serait au cours des semaines suivantes déformé par un énorme coquard. La seule fois de ma vie où j’ai frappé ma mère, après avoir fantasmé ce moment pendant des années, ça a représenté une telle violation de ma conscience que celle-ci a refusé d’en garder la trace, et aujourd’hui encore, ce morceau précis de ma mémoire demeure absent.