Fragment autobiographique 18

J’avais vingt-trois ou vingt-quatre ans. J’étais revenu habiter chez mes parents pour quelques mois, en attendant mieux. Ils n’avaient pas prévu mon retour. Je vivais provisoirement – plus tard j’occuperais leur chambre – dans une pièce de neuf mètres carrés dépourvue de fenêtre et meublée d’une armoire à glace démontée, d’un lit de camp et de quelques objets laissés à l’abandon et couverts comme le reste d’une pellicule grise et graisseuse. J’y avais ajouté, pour tenir lieu de décoration, un nœud de pendu offert par une amie, un crucifix volé dans un cimetière et un poster de Bauhaus dont j’ai oublié l’origine.

J’y ai passé la nuit du nouvel an à écouter, sur France Culture, la rediffusion intégrale, de minuit à six heures du matin, de la dramatique adaptée du Moine, de Matthew Gregory Lewis, diffusée pour la première fois en 1978 et comptant une demi-douzaine d’environ une heure chacun. J’étais allongé dans le noir complet, environné par une odeur de poussière persistante. Mon lit, entièrement métallique et aux vis branlantes, grinçait à chaque mouvement. À part ça, aucun bruit extérieur ne venait me distraire. J’étais hors du monde et heureux.

(illustration: Labaye)