À cette époque-là nous étions une petite bande inséparable. Tous différents, probablement incompatibles, notre unique lien était le jeu de rôle, que nous pratiquions avec une assiduité frisant l’obsession.
Il nous arrivait de jouer à l’étage supérieur d’une maison appartenant à la grand-mère de l’un d’entre nous. La partie terminée, à l’aube, nous nous couchions où nous pouvions et dormions quelques heures.
Ça faisait des années que j’étais amoureux d’une des filles de la bande. Elle sortait, depuis quelques mois, avec l’un de nous. Une nuit, après la partie de jeu de rôle, je me suis installé dans un de ces fauteuils pour vieux dont tous les éléments peuvent s’incliner ou bouger d’une manière ou d’une autre. Je n’étais pas si mal. La fille que j’aimais, et son copain, en tant que couple, ont eu le privilège de squatter le canapé. Il jouxtait mon fauteuil. Pendant toute la nuit, j’ai écouté leurs soupirs et eu le visage caressé par les cheveux de celle que j’aimais, au gré des mouvements de leurs deux corps. Ils avaient l’âge où on découvre le désir et le sexe. Moi j’avais quelques années de plus et cette période, je ne l’avais pas vécue, je la vivais ainsi, par procuration. Avec le recul, je suis incapable de dire si j’étais frustré de ne pas participer ou ravi d’être impliqué, même malgré eux.
(illustration: Labaye)