Fragment autobiographique 13

Je vivais chez des amis, dans la campagne héraultaise, et sortais d’une longue relation au cours de laquelle j’avais vécu en couple et qui m’avait laissé incapable de retomber amoureux aussi bien que de trouver un appartement par moi-même. En fait, ça ne me venait tout simplement pas à l’esprit, comme si les gens menant ce genre de vie appartenaient à un autre monde, invisible, dont je ne faisais plus partie, dont j’avais même perdu toute notion.

Je m’étais inscrit à des sites de rencontre téléphonique. Bien entendu, ces sites étaient des arnaques pures et je recevais régulièrement des messages m’invitant à prendre contact avec telle ou telle célibataire, fictive selon toute probabilité. Ces textos étaient envoyés automatiquement par une machine, ou bien rédigés par un pigiste quelconque assumant à la chaîne des douzaines de Samantha, Valérie, Chloé, etc. ; je n’ai jamais su le fonctionnement exact. Bien que conscient de ça, je répondais à peu près systématiquement, m’efforçant de jouer le jeu. De l’autre côté du réseau téléphonique, l’employé ou le robot tentait d’entretenir la conversation. Le ping-pong durait parfois un certain temps, vide.

Chaque SMS que j’envoyais leur rapportait quelques centimes. Ce simulacre de relation, sans aucune autre consistance que quelques phrases sans signification échangées d’un vide à l’autre, m’allait bien. Quand j’étais avec mes amis, en train de discuter ou de prendre l’apéro – nous buvions beaucoup – et que mon téléphone vibrait, signifiant que j’avais reçu un texto émanant d’une interlocutrice qui n’existait pas, se résumant à un prénom pioché au hasard dans une liste de prénoms sexy, j’étais heureux.

(illustration: Labaye)