Mitä jää
Ce qui reste

 

Ce qui reste et ce qui s’en suit.

Une résidence éphémère, une semaine de temps à part.
Pour quitter la maison de ma mère en bois et l’espace autour.
Parce que je sais. Je sais déjà.
Parce que je regrette encore la glycine, l’escalier en colimaçon et la vue sur la cour et sur même les poubelles de chez l’une ou l’autre de mes grand-mères et les maisons vendues.

Une semaine c’est juste à peine.
Il y a le cri inaudible à hauteur de la cage, thoracique, qui enferme la protestation dedans de l’enfant sur la pointe des pieds excédé qui refuse, sa bouche sous mon menton à hauteur de mes seins qui proteste, qu’on entendrait s’il y avait là un point une ouverture si on ouvrait, qui dit non vraiment non une semaine c’est rien c’est pas bien c’est nul c’est trop court c’est trop con c’est que dalle c’est débile c’est non.

Et sait-on s’il y aura quiconque ?

Si j'essuie les larmes trop nombreuses avec mes mains, c'est mes avant bras qui coulent. Alors je les frotte de chaque coté sur ma robe en un mouvement assez naturel. Finalement.

J’invite ceux qui pourraient ceux qui à coup sûr ne pourront pas prisonniers qu’ils sont des rythmes, juin n’est pas simple, ceux qui sont pas tout près et ceux qui sont trop loin.

L’invitation rédigée vient d’être envoyée. Le projet le programme le trajet et la sncf qui fait encore des travaux tout le mois et le voyage qui devient compliqué plus long plus cher avec trois heures en bus-la-misère autant dire inatteignable.

Je devine les émotions prêtes.

Pourquoi les larmes font des taches sur mes lunettes. Il n'y a strictement aucune raison. C'est que les cils éclaboussent ?

J’ai noté cette nuit la liste dans le noir de ce que je vais perdre ce qui ne restera pas.
La tristesse est là. Pourquoi j’imagine que j’accède à ça seulement ? Pourquoi je réduis mes progrès aux bords nouveaux de la peur qui s’arrête et à la tristesse infinie, elle qui prend le relais de l’immensité. Elle se fout des limites du temps. Je peux avoir peur à postériori, mais je n’ai plus peur à mes anciennes peurs alors que la tristesse s’additionne, chacune l’une puis l’une puis l’autre sans soustraction. C’est peut-être ça l’erreur du moment, croire qu’elle ne s’allège pas.

Toujours loin vers la droite la gauche l'horizon lointain entre le mur et le plafond derrière la télévision dans le restaurant dans le salon. Voir ce qui se cache où pour cacher ce qui se voit bien. Quand je pleure je regarde chaque fois ailleurs.

Accroupie dans le jardin proche de l’atelier là où le talus est un peu plus grand un peu plus haut le jour de l’enterrement de mon père ou le lendemain ou la veille. Je demande à la tête au cerveau de ne pas tout déverser du flot que je sens venir, toutes les histoires, chaque anecdote, une à une avec mon père, parce que je n’ai pas le temps ni la capacité de les accueillir. Persuadée de pouvoir y revenir sans en perdre une seule, le moment venu. Je n’ai encore jamais voulu le moment venu et je ne sais rien de la possibilité de convoquer ou pas, ce temps qui a l’image du corps ramassé sur lui-même penchée que j’étais sur les lavandes au bord de l’atelier.

Je ne sais pas si même je tenterai de convoquer le flot. C’est en jeu, c’est ce que crois lire dans le lieu à quitter. Mais.
On verra, nous verrons ce qui restera devant l’atelier.

Non loin se trouve le pont la passerelle sur lequel mon père était assit un peu à l’écart du jour. J’étais sortie, chacun vaquait, je l’ai vu et j’ai voulu m’asseoir à côté de lui pour ne simplement rien dire. Mais.
Je n’ai pas osé m’approcher ni le faire ni lui dire empêtrée dans l’idée de le déranger. Lorsque j’ai regardé à nouveau il était rentré et je n’avais pas à l’époque la compréhension de cette chose simple que j’aurais pu aller le voir dedans la maison et lui dire j’ai envie de m’asseoir avec toi dehors. C’était de ces équations inconnues, les choses que je ne savais ni faire ni possible, ce pouvoir qu’il faut savoir pour l’avoir.

Dans le hall du Conservatoire je les vois arriver. Celui qui donnant la main à son père en larmes a son violon dans l'autre. Ils s'y dirigent tout droit.

Je sais seulement que je suis revenue deux semaines après, le voir en service de réanimation où il dormait artificiellement. J’avais traversé le Massif Central en train et Montpellier en tram pour arriver dans la chaleur de la ville et la fin de journée. Ça n’était pas et c’était pourtant, sa chambre. J’avais franchi les parkings les portes les sas les entrées les services, j’avais mis les protections ou pas le masque ou pas et j’avais découvert qu’il avait la main gauche presque chaude quand je l’ai prise dans la mienne en m’asseyant à coté de lui. Dans le bruit des machines et les tuyaux transparents on s’est dit presque bonjour, même l’infirmière arrivée juste après l’a constaté,  elle a dit tiens c’est bien, en voyant que son rythme cardiaque s’était apaisé et elle m’a proposé une grenadine. Je me suis demandée si j’avais gardé des couettes peut-être sans faire exprès.

Pourquoi ma main tremble et pourquoi l’autre aussi ? Pourquoi je mélange tout, les vivants les morts et les absents ? Pourquoi je me tiens les bras pour croire que c’est toi ?

Couchée sur le côté, quand la colonne vertébrale est parfaitement parallèle au lit, les larmes s'accumulent au coin dans l'œil, puis se déversent directement dans l'autre où ça crée une petite inondation.

La liste de tout ce qui part et qui n’est plus. Ce qui reste prend la place, vacante. Les Cévennes et vous êtes dans le vrai ? Est-ce que tout va se résumer à l’autocollant coloré du syndicat d’initiative ? L’autocollant et quelques objets.

Ce qui disparaît blesse. Puisqu’on ne peut même pas compter sur le poids des pierres lourdes qui ne suffisent pas. Puisque cette maison sera à un autre un jour et que je n’aurai plus de nouvelles. Puisqu’il faudra changer de chemin les étés prochains. Les maisons s’évanouissent. Les pierres les rochers les bois, le bois de la construction, évaporés. Et nos routes amputées des maisons perdues.

Pleurer sans grimace et sans bruit permet de laisser couler le dos tourné au travail un instant devant la machine à laver au supermarché au feu rouge dans la voiture avant de redémarrer dans le bus en admirant le paysage. Immobile.

Ni les yeux rouges ni les paupières gonflées, sans commentaire.
Parce que sinon la main sur l'épaule et alors le cri à la gorge et tout s'écroule, et alors ramasser remettre de l'ordre se moucher rassurer remercier renifler.

La maison est arrivée en pièces détachées dans deux containers. Bois empilés massifs équarris, elle est née en trois semaines à peine.

En silence ça coule ça passe comme la tristesse claire que c'est. La rivière infime et quelques taches sur le t-shirt ou le jean ou plein les lunettes suivant l'inclinaison de la tête (encore) ou la petite flaque aux joints du carrelage par terre parce que le tissu de ma jupe est déperlant à cause de la soie qualité haute couture a dit ma sœur qui l'a fait et me l'a offerte.

Danielle dort dans l’une des trois chambres.
Nous serons cinq au plus fort de la résidence, jeudi soir et vendredi matin.

Il n’y a pas de musique
On est allée faire des courses
Demain c’est le marché.
On a pris un café au café.
Ce qui reste de la communication.
Oli hauskaa ja hienoa.
Minulle jää maalauksia ja kuvia työ kaluja ja hienot vanhat lasit kaapissa.
Jää liikaa lautasia ja liian vähän huonekkaluja.
Vaateet pois ja intialaiset kangaat laatikoissa.
Le divorce a été terrible.
Il n’y a plus de téléphone.
Il était grand et roux.
Il n’y a plus internet non plus.
Le désert est important.
Il a plu tout à l’heure.
Tiens regarde ce que j’ai trouvé ! Elle a le même livre que celui que j’ai amené jusqu’ici, c’est incroyable.
L’intolérance des gens de gauche.
La marche entre la boutique et la maison.
Et la marche entre la boutique et la rue où j’aimais m’asseoir.
Et le souvenir de la pente de la rue dans mon corps qui court vers le haut.
Le plancher fait bouger l’armoire et les verres à pied qu’elle contient.
La mauvaise odeur de l’encre qui a peut-être tourné, ça arrive.
La culpabilité de la haute trahison.
Je comprenais qu’ils arrêtent de m’aimer, de me nourrir, je m’étonnais qu’ils puissent encore me parler. Même s’ils n’en n’ont rien fait.
Ce qui se retrouve dans nos peintures.
Le bruit de l’horloge murale réduite à sa plus simple expression sans cadre ni vitre, une assiette en carton et la pile dans le boitier noir, derrière.
Le bruit des feuilles détachées de son carnet à spirale.
Oli niin helppoa mennä uimaan
Ja kävelemäällä, jätskiä syömään pikku kahvilassa
Oli vuohia ja lampaita ja keltainen kissa
Keltaimen-odotaa, Jaune-attend le chat Jonathan qui attend sur le tas de compost en regardant vers la cuisine.

Ce que je perds c’est ce qui appartient au lieu dont je n’emporterai que l’idée. C’est autre chose que de la nostalgie. C’est entrelacé tout autour dans le reflet de la treille dans la vitre du cadre de la peinture de la cuisine jaune et bleue les hortensias secs.

Avec de la fièvre les larmes sont curieusement, mais somme toute très logiquement, chaudes. Elles viennent des profondeurs.

J’aime l’idée de quelqu’un qui travaille dans l’atelier de ma mère, qui fait exactement se qu’elle veut à côté, dans les parages. J’aime l’idée de cette liberté du cadre et d’en être. Que des personnes emportent leur expérience du lieu, qu’il puisse exister ailleurs dans d’autres corps dans d’autres têtes.

Je décide de mettre une chaise blanche et une robe noire, dans l’image. Je n’en ferai aucune de l’intérieur. Seulement sous dans et sur et devant, seulement les arbres, les herbes, le pont, l’atelier. Et mon dos.

Ce qui reste se retrouvera ailleurs, emporté.
Se retrouver, se trouver à nouveau, refaire la rencontre, la confirmer, les retrouvailles déballées des caisses et des cartons plus tard.

Le bruit du vent dans les pins qui sifflent, le vent rivière qui en suit le cours qu’on entend au loin, les grillons persistent avec parfois un contre temps comme quand on reprend sa respiration ou qu’on avale sa salive au milieu d’une longue phrase.
J’aime la discussion des grillons.

Mais tu sais le Yi Jing répond toujours à la véritable question, celle qui compte.
Qu’importe que tu ais mis un prétexte devant, dit-elle en posant le livre rouge de ma mère, il faudra que je me l’achète celui-là, je n’ai pas cette traduction.

Profitable d’avoir où aller.
Profitable d’avoir la ténacité d’un guerrier.
Se modeler est au-dessous du lit.
Tout regret disparaît.
Dans le champ capturer trois espèces.
Se modeler c’est plier c’est un mouvement de contrainte qui courbe les êtres et pénètre à l’intérieur des situations cachées pour remettre la forme à jour. Comme le vent courbe l’herbe sans lui faire perdre sa verdeur.
Enracinement vers le bas et croissance vers le haut.
Présage d’ouverture pour un être aguerri.
Absence de faute.
Absence de faute.
Absence de faute.
Ne pas hésiter.
Absence de faute.
Au milieu tout est possible, il faut traverser et favoriser le petit (les graines).
Au milieu il y a un noyau de stabilité.
Et le renard ne trempe pas sa queue dans la rivière, pour ne pas s’alourdir.

Des fois j'ai cinq ans et je pleure parce que non parce qu'on ne peut pas puisqu'on te dit que non tu vois bien ne fait pas l'enfant tu sais bien regarde enfin parce que la date est reportée oui c'est non il ne viendra pas tout à l'heure tu vois bien qu'on doit annuler tu n'iras pas aujourd'hui parce que les obligations les affaires les horaires.
Des fois j’ai cinq ans et demi et j’attends alors un peu, confiante, sachant bien qu’il faut que jeunesse se passe.

A la veille de tout ranger je doute d’y arriver, je me dis que je n’y arriverai jamais et je sais qu’il faudra bien pourtant. Mais je ne vois pas comment.

La porte ouverte.
A qui voudrait.
La résidence a été un moment serein, trop court très calme, sans autre attente que la présence. On a ri on a lu on a beaucoup ri on a bu et mangé on a tous dormi ici.
C’était ce qu’il fallait dans les murs en bois, la surprise qui nait entre les minutes.

Près de la gare une salade et un thé et un café.
Vu une usine depuis la fenêtre du train, l’avoir trouvé belle avant même de comprendre que ça en était une.

Je ne veux plus comprimer la taille le programme le temps la journée les seins les trajets.
Je veux la porte ouverte.